Retour sur un waxtaanu inouï
A Dakar, le duo Alice Desclaux et Tidiane Ndoye pour un waxtaanu amades inouï
Par Rose André Faye et Albert Gautier Ndione
Le Waxtaanu Amades du 21 Novembre 2018 à Dakar a eu le plaisir d’accueillir Alice Desclaux, anthropologue de la Santé, TransVIHMI (IRD, INSERM, Université de Montpellier). Elle a récemment coordonné un ouvrage collectif avec Marc Egrot intitulé « Anthropologie du médicament au Sud : La pharmaceuticalisation à ses marges ». Le Waxtaanu a également accueilli Tidiane Ndoye, socio-anthropologue de la santé, chef de département de sociologie de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il a accepté avec enthousiasme de modérer le nouveau format des waxtaanu Amades qui accueille désormais deux
chercheur.e.s en même temps.
La présentation d’Alice Desclaux a porté sur le thème « La pharmaceuticalisation, un concept efficace mais risqué ». Elle introduit son sujet en décrivant le médicament comme un objet qui traverse des univers sociaux avec un changement de sens. En se basant sur les travaux fondateurs de l’anthropologie médicale et sur l’anthropologie du médicament au Sud, elle discute le concept de pharmaceuticalisation faisant du médicament le moteur de dissémination de la médicalisation et qui peut être plus important que la relation de soins. Alice donne des exemples d’enquêtes de terrain au Sud qui montrent comment la question des médicaments émergent en Afrique et implique des acteurs différents. Le médicament est en circulation croissant en Afrique et son action se diffuse avec un modèle culturel « le médicament n’est rien sans socialisation ».
Elle évoque également que le médicament est historiquement lié à la prescription en médecine. Elle explique la question de l’efficacité pharmacologique du médicament qu’on ne peut pas séparer de la toxicité, des effets secondaires, de l’accoutumance et de la dépendance.
Alice Desclaux aborde aussi les « autres usages » des médicaments en dehors des prescriptions médicales. Elle donne l’exemple des recherches de Blandine Bila au Burkina Faso sur les stimulent sexuels qui ne correspondent pas forcément à des dysfonctionnements érectiles mais à des besoins perçus qui montrent comment la représentation du plaisir a évolué. De plus, elle parle de la distribution des produits à base d’aloé véra (les suppléments nutritionnels) au Sénégal avec les firmes
marketing multi niveaux. Ceci montre comment un produit qui n’est pas dans la catégorie des médicaments peut être
perçu comme tel par les distributeurs et les consommateurs. On assiste donc à une expansion de l’emprise du médicament avec des facteurs culturels favorisant en résonnance avec l’autonomie individuel et la culture de la santé globale.
A la suite de la présentation d’Alice, Tidiane Ndoye décrit d’abord l’importance de la pharmaceuticalisation avec l’exemple de l’accès à la vaccination pour les enfants de moins de cinq ans en termes de protection sanitaire dans des contextes à risques élevés d’infections par plusieurs virus. Il attire l’attention sur les paradoxes de la pharmaceuticalisation qui peut permettre à des populations à risque d’accéder à un traitement mais qui expose à d’autres risques. Il donne l’exemple de la
« pilule du lendemain » (Norlevo) qui permet de réduire les naissances chez les jeunes filles au Sud du Sénégal où la sexualité est précoce, mais les expose en même temps aux infections sexuellement transmissibles. Il évoque ensuite le rôle
des délégués médicaux comme agents de diffusion de la pharmaceuticalisation et le met en lien avec l’industrie globale de la pharmacie pour qui la mise à disposition de médicament est un business lucratif.
Les discussions avec les participants ont tourné autour de la fin de la vie médicalisée en Europe, sur les marchés du médicament en Afrique, sur le rôle de régulation des médicaments par les autorités, la place de l’internet dans l’achat des médicaments, les politiques publiques par rapport aux médicaments notamment sur le sujet de la planification familiale, la question des vaccins et des additifs alimentaires. Le concept de pouvoir a été indiqué comme étant utile dans l’anthropologie du médicament car il montre les interactions de différentes sources de pouvoir (bioactif, culturel…).